Il était une fois Valentine de Ganay, héritière comme 9 autres de ses cousins de l’ensemble du territoire de Courances situé dans le parc naturel du Gâtinais. Cette femme de lettres reprend alors l’exploitation agricole de 500 ha et affiche l’ambition de « nourrir Paris ». Attention par n’importe comment : en revendiquant une agriculture de conservation et biologique. Il ne s’agit pas seulement de faire joli sur le papier. Les enjeux économiques sont bien évidemment pris en compte pour que cette aventure, car cela en est bien une, devienne un modèle inspirant aux portes de la Beauce.
Comme je l’ai précisé dans l’article précédent (les jardins de Courances 1ère partie), j’ai découvert le château et le parc un peu par hasard. En traversant les immenses champs pour me rendre à ma visite, j’étais loin d’imaginer que tout ce territoire appartenait à une même famille : les Ganay. J’ai alors pris connaissance d’un projet ambitieux résolument tourné vers l’avenir, où dans ce monde fermé qu’est l’agriculture intensive, chaque initiative novatrice fait figure de chemin de croix.
La Plaine, de quel territoire parle-t-on ?
Rappels de quelques faits historiques
En 1946, Jean-Louis de Ganay (ingénieur agronome) reprend la gestion du château de Courances et de son parc qu’il simplifie dans un souci économique mais aussi pour lui donner un aspect plus naturel (les arbres ne sont plus taillés en rideau). Cependant, quand il rentre de Paris pour se ressourcer ce n’est pas au château qu’il se dirige c’est au milieu de ses champs, au milieu de la Plaine.

En 2013, c’est avec ce souvenir que Valentine de Ganay, une de ses 4 filles, hérite avec 9 cousins de l’ensemble du territoire qui s’étend sur 1800 ha (moitié bois, moitié champs). Il englobe également le château de Courances, son parc et son potager clos de murs de 2.8h mais aussi le château de Fleury-en-Bière et son parc.
Quelques repères géographiques
Les terres s’étendent d’est en ouest entre le château de Courances et celui de Fleury en Bière. Elles se situent dans le parc naturel du Gâtinais qui lui confère des droits mais aussi des devoirs. Elles sont traversées par l’A6. Au milieu de ces champs, il y a Chalmont, un hameau et une ferme (qui ressemblait plus à un cimetière d’engin mécanisés) dont 460ha était en fermage et géré en agriculture conventionnelle. Fait important également, nous sommes à 50 km de Paris et aux portes de la Beauce, grenier de la France.

Au commencement de l’aventure
Ce qui frappe Valentine de Ganay c’est la différence d’attention et de soins qu’est portée aux parcs historiques des châteaux en comparaison des champs alentour. Des cultures dont on ne sait si elles sont en jachère ou cultivées. Des haies sont dégarnies et voire inexistantes. Bref le constat n’est pas glorieux mais comme le précise Gilles Clément, que Valentine de Ganay a fait venir :
Ce territoire n’est pas tellement différent de la plupart des exploitations agricoles de ce pays.
Malgré cela, le constat aurait pu être pire. Les frères Ganay fervents chasseurs ont conservé des bosquets et des haies pour la levée du gibier.
Cependant si proche de Paris, pourquoi ne pas en faire un territoire exemplaire !
Des idées commencent alors à émerger mais quand on est 10 propriétaires, il y a quelques passages obligés et des comptes à rendre. Avec deux autres cousins, Valentine de Ganay se fait élire pour mener le projet de la « Plaine » vers une agriculture biologique avec une réalité économique ! Et voilà Valentine de Ganay projetée dans un monde méconnu, parfois tortueux mais malgré tout fait de petites pousses qui ne demandent qu’à s’épanouir. Elle se forme et surtout elle s’entoure d’experts qui souhaitent proposer des alternatives à notre agriculture d’après-guerre tout en rapprochant les producteurs des consommateurs.
Le potager historique

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’envie de faire revivre le potager arrive après les réflexions menées sur la Plaine. Longtemps endormi sous un couvert de Luzerne, il parait évident, dans ce nouveau contexte, de le réveiller. Ce jardin de 2.9ha est alors relancé au maraichage et obtient la labellisation AB en 2015. La production est directement vendue dans la boutique Les jardins de Courances située derrière le hameau de la Foulerie, mais aussi dans une AMAP et via la startup Tomato&co.

Hors des murs, des cultures pleins champs (pommes de terre, betteraves), etc … se font sur un sol vivant, c’est-à-dire toujours couvert et jamais labouré. Les vers de terre reconnaissants de cette attention ne rechignent pas à travailler d’arrache pieds pour aérer cette terre tassée et ainsi redonner du souffle et de la vie.
Face à la demande croissante, le potager s’agrandit et s’exporte dans une parcelle à proximité de la ferme de Chalmont.
Des visites en groupe sont organisées pour expliquer, faire découvrir, transmettre ces nouvelles pratiques.
Le projet de la Plaine, d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique de conservation
Imaginez un territoire capable de donner un produit de qualité, sain, gustatif tout en régénérant la terre et tout en préservant la santé et le bien-être des agriculteurs. C’est une utopie ?
C’est le vaste projet que pilote Valentine de Ganay. Elle a su s’entourer d’experts et de professionnels qui sont convaincus, comme elle, que d’autres pratiques sont possibles tout en étant économiquement viables. Tout reste à le prouver.
L’agriculture conventionnelle
L’émergence de cette agriculture
L’agriculture conventionnelle s’est largement développée après la deuxième guerre mondiale, où sous couvert de renourrir la France, l’emploi de tout un tas d’intrants a été généralisé. Les paysans aidés des techniciens de la chambre d’agriculture se sont mis à croire à cette nouvelle agriculture moderne. Alors oui soyons honnêtes, les rendements se sont mis à grimper et avec eux les revenus de nos agriculteurs. Cependant, cette révolution dorée cache une réalité beaucoup moins rose. Les paysans s’endettent et deviennent complètement dépendants des semenciers, producteurs des produits phytosanitaires ainsi que du pétrole.
Lorsque l’on répand les nitrates en grande quantité, une herbe, le vulpin vient concurrencer le blé, que nous conseille-t-on alors ? Un désherbant qui épargne le blé mais entraine des carences en oligo-éléments. Le blé devient sensible à l’humidité, des champignons apparaissent. Alors que fait-on ? On pulvérise un fongicide. Mais le blé gorgé de sève attire les pucerons. Pas de panique ! On répand de l’insecticide , témoigne Bernard Rondot – dans Télérama article de Jean-Baptiste Roch
Cependant, il se rend compte que sa terre se détériore. Il ne la reconnait pas. Une prise de conscience s’opère alors :
Les produits de base des pesticides ont servi à tuer des hommes pendant les deux guerres mondiales. Quand j’ai compris que j’utilisais des énergies de mort, tout a basculé
Outre la dépendance financière, c’est la base même de notre nourriture qui s’écroule. La vie du sol s’est peu à peu éteinte et il est désormais quasi impossible de produire ces céréales sans ces pratiques conventionnelles.
En route vers la conversion
Pour de nombreuses raisons, quelles soient techniques ou politiques, on ne passe pas d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique sans passer par des étapes nécessaires de régénération des sols.
Pratiquer l’agriculture d’une manière nouvelle, changer les habitudes et les perceptions est nécessairement un combat. Valentine de Ganay
Ainsi, j’aimerai revenir sur 2 notions : l’agriculture de conservation et l’agroforesterie.
Agriculture de conservation, résiliente au climat
Une agriculture de conservation, ce n’est pas de produire des légumes ou des fruits qui se conservent comme la pomme de terre ou les pommes. Non, l’agriculture de conservation a pour objectif de conserver le carbone dans le sol, préserver la vie de la terre, tout en réduisant les apports d’engrais et de carburants nécessaires aux cultures tout en offrant des conditions de travail respectueuses à nos agriculteurs.
Mais comment ?

Le nouveau chef de culture Bruno Saillet, l’ancien professeur de Valentine de Ganay, se lève chaque matin avec cette idée en tête de faire moins mais mieux.
Le principe de cette agriculture de conservation est d’avoir un sol toujours couvert et en proscrivant le labour.
Du coup, au lieu de passer des produits phytosanitaires et le tracteur, ce qui demande de la main d’œuvre et du carburant, ce sont des brebis qui vont réaliser le travail de désherbage et d’entretien des parcelles quand leurs excréments viendront nourrir la terre. Des associations de plantes peuvent également favoriser la culture principale ou au contraire contraindre des plantes non désirables.
Une autre technique permet d’améliorer le sol et permettre d’avoir des produits de qualité et surtout des productions résilientes au climat : l’agroforesterie.
L’agroforesterie
Les bénéfices
Le principe de l’agroforesterie est de remettre l’arbre au centre des activités agricoles que cela soit pour la vigne, l’élevage ou encore les cultures céréalières comme ici.

C’est Alain Canet, agronome et agroforestier, qui conseille l’équipe pour aggrader encore un peu plus cette terre si longtemps malmenée
Oui mais ces arbres font perdre de précieux m2 de culture et ce n’est franchement pas pratique pour passer le tracteur !
Entendons-nous bien, l’objectif n’est pas non plus de revenir à la faux sur des hectares de champs. L’objectif est de rendre une vie du sol riche, variée ce qui aura un bénéfice direct sur la qualité des productions. Par ses feuilles mortes et ses petites branches, l’arbre nourrit le sol. Il fait remonter l’eau et les nutriments pour les mettre à disposition en surface aux cultures, les racines aèrent le sol et favorise le drainage des parcelles hydromorphes et permet de limiter les évaporations d’eau et les érosions du sol (non les cailloux ne remontent pas c’est la terre arable qui s’en va !)

Les arbres sont plantés en rang espacés de 39 m pour permettre le passage des machines et de façon peu dense : 40 arbres à l’hectare. Ils protègeront également contre les vents dominants qui sont désormais très peu arrêté dans cette plaine.
Une aventure collective
Ainsi près de 1800 arbres ont été plantés sur 70 ha avec l’aide de 200 bénévoles. C’est rassurant, encourageant qu’autant de personnes puissent s’intéresser à cette nouvelle agriculture. Ce seront les premiers à porter la bonne parole pour transmettre ces nouvelles pratiques et essaimer des petites graines. Un des objectifs est de rapprocher le producteur du consommateur, ce genre d’initiatives en fait pleinement partie. La production de notre alimentation n’est pas seulement l’affaire de l’agriculteur mais bien celui de tous. En tant que consommateur nous sommes le premier levier pour porter haut et fort notre volonté à manger mieux et de façon durable.
Ce n’est que le début
Une notion importante : comme dans tout système permaculturel la décroissante énergétique s’accompagne également d’une diminution du travail qui abîme, qu’il soit physique ou mental. Souvenez-vous, l’une des éthiques de la permaculture, c’est de prendre soin de l’homme. Ainsi, tout est pensé pour que les agriculteurs puissent aussi avoir droit à leurs 35 heures et leurs jours de congés. Ce temps de repos est essentiel pour faire germer de nouvelles idées et emmener ce projet avant-gardiste encore un peu plus loin.
Des réflexions autour d’un atelier de transformation et pourquoi pas une farine bio des jardins de Courances s’imaginent dans l’équipe. Et pour viser toujours plus l’autonomie, une autre idée serait de mettre en place un site de stockage pour les semences :
L’autonomie de la ferme doit se regagner.
Pour finir
Cette expérience grandeur nature n’est qu’au début. Des choses fonctionnent et d’autres moins (comme la culture du maïs, par exemple). Néanmoins ces 550ha de terre commencent à être reconnaissantes de ces attentions. On espère que cela donnera envie à d’autres de prendre le même chemin en trouvant leur propre voie. En effet, s’adapter à chaque territoire est la clé de la réussite de tels projets. Les techniques des uns sur une terre donnée auront des résultats complétement différents sur un autre terroir. L’objectif de la vitrine qu’offre Courances est d’ouvrir la voie vers un autre modèle de pensée : celui qui se fait avec la nature et non contre elle. A chacun d’expérimenter sur ses terres et selon ses besoins les meilleures associations possibles sans devenir esclave de techniques qui à coups sûrs se seront pas durables.