Au Manoir d’Equivocal, l’écologie n’est pas juste une tendance, un mouvement à suivre car en vogue. Non, le respect de la nature sous toutes ses formes est une véritable conviction, une évidence qui dicte chaque jour les projets d’Irène Lenoir, de sa famille et de ses équipes. Cet art de vivre s’inscrit néanmoins dans une réalité économique avec parfois des moments de doutes et de remises en question.
Pour une lecture facilitée
Qu’est-ce que le Manoir Equivocal ?
C’est avant tout des vieilles pierres de plus de 600 ans qu’il faut entretenir, bichonner tous les jours ou presque (retrouvez ici le précédent article sur le Manoir sur l’Écho des châteaux). C’est aussi une famille, celle d’Irène et un collectif qui l’accompagnent dans sa transformation et sa pérennisation avec trois entités :
-Un cabinet d’architecture,
-Une organisation commerciale avec des gîtes, chambres d’hôtes, mariages, séminaires, festivals et concerts,
-Une exploitation agricole bio de 250ha, qui dans le département de la côte d’Or, au milieu des vignes, fait partie d’une les plus importantes du canton.
Comme le précise Irène Lenoir, sur le plan financier : Il ne faut mettre tous les œufs dans le même panier. Ce n’est pas sans rappeler un des principes de la permaculture : Une fonction doit être assurée par plusieurs éléments, ce qui permet de tendre vers plus de résilience. Cette année, en revanche, est particulièrement fâcheuse avec à la fois la crise du COVID et la sécheresse qui impactent 2 entités sur 3.
Dans cet article nous nous concentrerons sur l’exploitation agricole selon les propos recueillis d’Irène.
Le Manoir Equivocal, une exploitation agricole en 100% bio
Les 250 ha que comptent le domaine sont en 100% bio et bien sûr tout cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Entre conviction, expérimentation, surprises et doutes, voici un aperçu de l’aventure agricole du Manoir Equivocal.
Acte 1 : CONVAINCRE
L’exploitation agricole était gérée à distance par la mère d’Irène. L’équipe en place le fait quant à elle vivre depuis plus de 30 ans. Dans les années 1990, l’idée de passer en bio germe. Et malgré toute la conviction dans cette conversion, il faudra encore une petite dizaine d’années de réflexions, discussions, expérimentations pour véritablement franchir le pas.
Pourquoi est-il compliqué de passer du jour au lendemain d’une agriculture conventionnelle à un agriculture biologique ?
- Le métier est différent. Certes ce sont des céréales connues depuis la sédentarisation des Hommes mais la façon de faire est complètement autre. En résumé et pour dégager les grandes lignes :
- En conventionnel, les traitements divers et variés ponctuent la culture du blé de son ensemencement jusqu’à la récolte. Souvent des techniciens de coopérative viennent eux-mêmes dans les champs préconiser voire commander pour les agriculteurs les traitements phytosanitaires à mettre en œuvre.
- En biologique, au contraire l’agriculteur réapprend à parcourir ses champs pour observer ses cultures, sa terre et comprendre leurs comportements. Cette observation s’affinera au fur et à mesure des années et augmentera la pertinence des couvertures de sol, des associations et autres jeux complexes des rotations végétales.
- Le matériel est différent, comme des outils plus larges, par exemple, pour éviter des passages trop importants et le tassement de la terre. Qui dit matériel différent dit investissement ce qui peut faire réfléchir à deux fois quand une année comme 2020 vient plomber le moral et les finances. Cependant, il existe des solutions pour s’organiser comme nous le verrons un peu plus bas dans l’article.
Au contraire qu’est ce qui peut faire basculer la décision ?
- Le bilan financier : Les prix en bio peuvent aller de 2 à 3 fois plus cher que le conventionnel. Ce simple argument parfois suffire à faire basculer la conversion.
- L’indépendance du bio vis-à-vis de la bourse. En effet, le prix du blé est indexé au cours de la Bourse. Ainsi, même avec un très bon rendement, l’exploitation peut entrer en concurrence avec les céréales du Brésil aux prix plus bas, le blé français perdra alors de la valeur. On ne peut imaginer ce que cette logique économique peut emmener comme stress et désarroi chez nos céréaliers…. En bio, au contraire, des contrats longs termes sont négociés entre les coopératives et les meuniers et les boulangers assurant ainsi un prix fixes indépendant des marchés.
Acte 2 : COMMENCER PAS A PAS
Comme dans tout projet d’ampleur, le passage du conventionnel au biologique passe par des phases de transition pour appréhender les contraintes et autres adaptations à faire quand on passe de la théorie à la pratique.
D’autant plus que chaque terroir est unique et copier un modèle sans comprendre les spécificités de sa terre et de son climat, entrainerait à coup sûr des désillusions.
Néanmoins cette phase de transition est assez inconfortable car les prix sont plus bas qu’en 100% bio. Des protocoles hygiéniques sont plus drastiques pour assurer la non-contamination entre les différentes cultures.
Acte 3 : MUTUALISER
Comme on a pu déjà le préciser, l’investissement dans de nouveaux matériels est nécessaire. Le Manoir Equivocal a fait le choix de s’associer avec d’autres exploitations pour l’investissement ou le prêt de matériel. Ainsi certains outils sont communs sur près de 800ha.
Acte 4 : CONSOLIDER
Selon Irène, on ne peut pas baser la réussite d’un modèle sur 2 ou 3 années de culture. Les paramètres déterminant un bon rendement sont complexes* et il faut bien une quinzaine d’années pour assoir une expérience certaine et valider ou non un modèle.
Cette année 2020 restera marquée comme une année particulièrement difficile avec une sécheresse qui a fait énormément de dégâts. Autant les maladies en bio sont quasi inexistantes, le milieu s’équilibrant naturellement, autant le trop ou pas assez d’humidité laisse les agriculteurs sans recours.
Irène nous a confié avoir obtenu il y a 3 ans un rendement exceptionnel en blé, du style que l’on ne voit jamais que cela soit en France, en bio ou en conventionnel : 85 à 90 quintaux de l’hectare (!!) les connaisseurs apprécieront. En moyenne, un rendement de 45-50 quintaux/ha marque une très bonne année. Les nombreux paramètres étaient au vert cette année-là et malgré ce coup d’éclat, cette récolte ne peut pas être la référence du système, au même titre qu’une mauvaise année. Néanmoins, on a l’habitude de dire que c’est dans l’échec que l’on apprend le plus, mais j’ai envie de dire que l’exceptionnel est tout aussi instructif. Comprendre ce qui a fonctionné est tout aussi riche d’enseignement !
Acte 5 : DÉVELOPPER
Être en agriculture biologique n’est pas une fin en soi. Il y a de nombreuses manières encore de développer une exploitation vers plus de résilience.
La santé de la terre
En effet au-delà, de l’agriculture bio on peut tendre vers l’agriculture bio de conservation. Conservation sous-entend celle du sol, et plus précisément de la vie du sol qui, si elle est suffisamment riche, donnera davantage de cultures qualitatives et quantitatives. Le non-labour, le sol vivant, l’agroforesterie sont autant de techniques qui peuvent tendre vers ce résultat.
Cependant, encore une fois les techniques sont à adapter à sa région. Le Gers n’adoptera certainement pas le même modèle que l’Alsace.
Au Manoir Equivocal, par exemple l’implantation d’arbres apporterait trop d’ombre et réduirait fortement les rendements sur les parties les moins ensoleillées. Par conséquent, l’équipe a décidé de commencer par des haies. 1km sera planté cet automne. Puis 5 autres à la suite. Tout reste néanmoins de l’ordre de l’expérimentation. Irène reste prudente. Une haie pourrait apporter de l’ombre sur 3 m, néanmoins, la théorie prédit que cette baisse de rendement serait largement compensée par des taux jusqu’à 4 fois plus élevés au cœur de la parcelle. Il faudra attendre encore quelques années pour en être totalement sûr.
La santé financière de l’exploitation
Le souhait de l’équipe est de se libérer petit à petit du stress du rendement en valorisant leur production par de la transformation.
Cela permettrait alors de se reconcentrer sur la qualité de la production que cela soit dans la valeur nutritive des semences, leur ancienneté, leur résilience, etc. … Dans ce cadre, ils se rapprochent doucement de l’association : les graines de Noé
Tout cela demande quelques m2 de locaux et donc des investissements qu’une année comme celle-ci éloigne un peu plus du calendrier initial.
La révolution verte d’après-guerre doit se réinventer et trouver de nouveaux paradigmes que cela soit pour la qualité de la terre, la qualité de notre alimentation mais aussi et surtout pour la qualité de vie de nos agriculteurs englués dans un système économique qui les asphyxié tous les jours en peu plus (au nom de la Terre)
Notre coup de cœur
Le Manoir Equivocal n’est pas seulement une exploitation 100% bio, c’est aussi une écoconstruction se mariant parfaitement avec le cachet de l’ancien, un Festival Nature initié par la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) qui a établi sa résidence au manoir : bref de nombreuses autres très bonnes raisons de revenir vous parler de ses sujets tout aussi passionnants les uns que les autres !
· NB : La prédiction d’un bon ou mauvais rendement dans nos productions céréalières est basée sur le modèle établi par Henri-Louis Duhamel de Montceau au XVIII e siècle (du château de Denainvilliers). Il a passé sa vie à observer la nature et ces cycles pour définir, entre autres, des modèles de prédictions toujours utilisés aujourd’hui. Ainsi l’année 2019 était prévue comme était une très bonne année et c’est ce qu’elle fût. Des années hors norme en termes de pluviométrie et/ou de sécheresse ont toujours existé (ex celle de 1788, par exemple). Ces bugs, le réchauffement climatique les rapproche …jusqu’à peut-être remettre en cause le modèle ? Ce même homme a également conçu le premier silo à grains ventilé toujours visible au château.
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Le Manoir Equivocal