Au-delà des murs à pêches

par Céline (admin)

Il était une fois une Grosse Mignonne, qui adorait se faire dorer la pilule tranquillement à l’abri de hauts murs en plâtre. Ils lui apportaient chaleur et protection. Ainsi, à l’abri des vents froids, elle goûtait une vie heureuse faite de soins, d’attention en tout genre, s’offrant parfois une coquetterie tatouée. Ainsi, gorgée de soleil et de tendresse, elle venait orner les tables des plus grands de ce monde. Cette véritable vedette est néanmoins restée attachée et fidèle à ses origines.

J’ai découvert les murs aux pêches lors de la lecture de mon nouveau livre de référence : Histoire des jardins de Philippe Prévôt. Ce qui est fou, c’est que ces murs ont fait la renommée de Montreuil pendant plus de trois siècles et aujourd’hui très peu de personnes en connaissent l’histoire. Alors, si vous le voulez bien, partons à la découverte de ces murs de plâtre, compagnons fidèles et indispensables de la pêche d’ Île-de-France.

L’histoire des murs à pêches

Pourquoi Montreuil ?

Dans la France du Moyen Âge, la viticulture représente la culture principale sur le territoire. Malgré cela, d’autres productions voient le jour et, petit à petit, la vigne laisse un peu de terrain…

C’est véritablement au XVIIe siècle que débuta l’histoire des murs à pêches de Montreuil, à l’est de Paris. Nous sommes sous le règne de Louis XIV (1643-1715), qui raffole de ce fruit baigné de soleil, peut-être devons-nous y voir un signe.

La culture des pêches en région parisienne n’est pas née à Montreuil. Cependant, c’est dans cette ville qu’elle prit une réelle expansion, et ce, pour plusieurs raisons.

Montreuil, appelée alors Montreuil-sous-Bois, est un village situé sur un plateau qui bénéficie d’un très bon ensoleillement et dont le sous-sol regorge de gypse (pierre à plâtre), un des trois matériaux nécessaires à la construction de ces murs si particuliers.

De plus, proche des Halles de Paris et des clients gourmets aisés, la ville est un lieu privilégié pour ce fruit.

La commune se transforme alors en véritable quadrillage avec, à son apogée, près de 600 km de murs. Ces pêches faisaient vivre de nombreuses familles et avaient une renommée internationale.

Au commencement étaient les murs

Ces murs ne sont pas montés avec des pierres bien taillées, non, bien au contraire. Ils sont réalisés à partir de matériaux trouvés dans le sol et le sous-sol montreuillois. Ainsi, le mariage entre la terre, le silex et le gypse constitue un trio gagnant, permettant de monter vite et à moindre coût ces murs hauts de près de 3 m, coiffés de tuiles.

L’orientation des murs n’est bien évidemment pas non plus laissée au hasard. Principalement dans un axe nord-sud, ils tenaient compte de la pente et du maximum d’ensoleillement. Ils étaient également espacés de 10-12 m, cassant ainsi les vents froids ou forts. Cette configuration offrait véritablement des microclimats propices à la production de ces fruits plutôt dédiés au Sud de la France.

La paternité de ces fameux murs se joue entre Versailles et Montreuil. Cependant, les deux sont unanimes sur le double intérêt qu’offre cette pierre à plâtre :

  1. Elle emmagasine la chaleur du jour pour la restituer la nuit, coupant ainsi cours à toutes les gelées matinales, mêmes tardives.
  2. Les pêchers sont cultivés en espaliers (c’est-à-dire à plat palissés) pour offrir un maximum d’ensoleillement aux fruits, un gain de place et une facilité dans les soins et la cueillette. Ce palissage, dit à la loque (bande d’étoffe qui permettait de maintenir les branches contre les murs) était rendu aisé grâce à l’épaisseur de cette fameuse couche de plâtre.

La culture de la pêche

Historiquement, les Montreuillois cultivent des cerises hâtives, des abricots, du raisin, des poires, des pommes, etc. mais c’est véritablement la pêche qui trouva sa clientèle dans l’aristocratie et la bourgeoisie française et étrangère. On parle désormais de la pêche de Montreuil, qui n’avait rien à envier à ses cousines du Sud de la France. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer son succès : avoir, si proche de Paris, un fruit du soleil.

Près de 400 variétés sont alors cultivées. Certaines pouvaient peser près de 400 g et étaient très prisées comme la Grosse Mignonne. Ces pêches sont alors devenues les meilleures ambassadrices d’un savoir-faire français, reconnues sur les tables les plus prestigieuses allant de celle de la reine d’Angleterre à celle du tsar de Russie.

En 1825, la récolte atteint 15 millions de pêches pour 600 km d’espalier. » Philippe Prévôt – Histoire des jardins

La production était alors vendue aux Halles de Paris dans leur carré réservé : le carreau de Montreuil.

La culture des pêches en espaliers libérait ainsi de l’espace. La culture d’autres espèces, au centre, était alors rendue possible, tantôt des fruits et des légumes tantôt des fleurs.

À son apogée, le territoire de Montreuil comptait 900 hectares dont 300 hectares étaient destinés à la culture de la pêche.

SRHM (La Société régionale d’horticulture de Montreuil)

Les cultivateurs des murs à pêches ressentent le besoin en 1878 de se regrouper en association pour continuer à développer et à transmettre les techniques de la culture des pêches. Une école voit le jour en 1920, sous le nom de jardin-école, qui existe encore aujourd’hui. En 2004, après quelques essais, ils ont réussi à reproduire le fameux marquage des fruits, qui faisait à coup sûr son petit effet.

Le marquage des fruits

Le marquage des fruits est une pratique en usage au XVIIIe siècle qui connut ses heures de gloire au XIXe siècle. C’est à Montreuil-sous-Bois que cette pratique retrouva ses lettres de noblesse. Pour flatter les hôtes célèbres […], les arboriculteurs préparaient des fruits marqués à leurs effigies. Tsars de Russie, rois d’Angleterre et grands d’Italie verront leurs armoiries et portraits inscrits sur les plus beaux fruits récoltés. […] Cette technique reposait sur l’art du pochoir. Histoire des jardins de Philippe Prévôt

Chute des murs à pêches

La seconde guerre mondiale a accéléré le déclin de cette profession et la dernière horticultrice, Geneviève Pouplier, a pris sa retraite en 2003. Par son départ, elle marqua ainsi la fin d’une épopée de plus de trois siècles.

Que s’est-il passé ?

Histoire de concurrence

Avec l’avènement du chemin de fer, les pêches montreuilloises sont directement concurrencées par les pêches du Sud de la France présentes plus tôt sur les étals. Il faut aussi compter sur les pêches à bas prix venant d’Espagne.

Histoire de territoire

Après la seconde guerre mondiale, c’est la course à l’urbanisation et l’industrialisation… Peu à peu, les 300 hectares dédiés à la pêche se réduisent comme peau de chagrin. Aujourd’hui, il ne reste qu’un dixième de la superficie, morcelée çà et là.

Histoire de murs

La culture de la pêche et l’entretien des murs demandent beaucoup de main-d’œuvre. De plus, le prix des matériaux augmente également. Les marges s’amenuisent alors même que la concurrence se fait plus féroce.

Histoire de marché

En mars 1969, le marché parisien déménage des Halles à Rungis. Ce fut véritablement la goutte qui fit déborder le vase. La logistique se complexifiant, c’est tout un pan de cette économie horticole qui s’asphyxie.

Après quelques années d’errance et d’abandon, particuliers, associations, mairie, région se mobilisent pour faire revivre cet héritage ô combien précieux pour la ville. De nombreuses valeurs de respect de l’environnement, d’entraide, de transmission fédèrent toutes ces personnes autour de ces murs à pêches.

Renaissance des murs à pêches, entre patrimoine et biodiversité

Le rôle des associations

Il ne reste aujourd’hui que 35 hectares en partie coupés par l’autoroute A86 et disséminés un peu dans la ville.

L’association la SRHM continue sa vocation première de formation et de transmission du savoir-faire montreuillois. Sur leur parcelle, on peut découvrir le musée de ces murs à pêches ainsi que le jardin-école, terrain d’expérimentation et d’apprentissage pour, d’une part les lycéens du lycée horticole situé non loin de là, mais aussi pour tous les amateurs soucieux d’apprendre et de se perfectionner.

Une autre association, Murs à pêches, se bat également pour préserver ce patrimoine. Elle a, notamment, réussi en 2003 à classer 8,5 ha au titre des « sites et des paysages ». Ces parcelles appartiennent pour un tiers à des particuliers, la mairie et le conseil régional.

La mairie a lancé de nombreux appels à projets, qui fleurissent à l’abri des murs séculaires. Ces différentes initiatives font entrer la permaculture, l’insertion, les rencontres intergénérationnelles avec un objectif commun :

Remettre la nature et les humains au centre des préoccupations de la ville de Montreuil.

Le projet global autour des murs à pêches

Ce projet est porté par les élus et toutes les personnes qui s’intéressent à cet héritage. Il est ambitieux mais nécessaire :

  1. Développer le potentiel naturel des murs à pêches
  2. Implanter l’agriculture en ville par le biais de micro-fermes
  3. Conforter les murs à pêches comme haut lieu de la culture montreuilloise
  4. Préserver le caractère patrimonial des murs (avec une expérimentation sur 17 km de différents plâtres pour déterminer le plus résilient)
  5. Permettre le maintien des activités et améliorer les conditions de vie des habitants

Ainsi, à travers ces différents points, de nombreuses associations font revivre les sites. On peut y découvrir un café social, un jardin d’entraide pour les Jardins du cœur, un jardin d’inspiration médiévale, des activités artistiques avec le théâtre de verdure, le sens de l’Humus qui initie à l’agroécologie, la permaculture, l’agriculture urbaine, etc.

Il y a un des projets qui m’a touchée : celui de la renaturation du ru Gobetue, petit ruisseau qui traversait jadis les parcelles avant d’être canalisé. Il ressort peu à peu, ressuscitant avec lui une richesse de biodiversité propre au milieu aquatique, faisant ainsi bénéficier toutes les terres à proximité.

Nombre de ces associations se sont regroupées en fédération pour faire de ces lieux une fête le temps d’un festival qui, cette année, initialement prévu au printemps, se fera très certainement à l’automne.

Des consensus encore à trouver

Néanmoins, si tout le monde semble s’accorder à préserver ce bout de patrimoine témoin d’une vie montreuilloise autrefois prospère, il reste encore des sujets tendancieux à éclaircir.

L’usine EIF, ancienne usine à peaux désaffectée, voudrait renaître à travers un projet ambitieux (Espaces imaginaires fertiles) tourné vers l’économie sociale et solidaire et l’agroécologie. Un espace dédié à l’écoconstruction, au recyclage, à la transformation alimentaire, un hôtel écologique, un Fab-lab, un espace de restauration et 83 logements écologiques permettraient à terme de créer 250 emplois. Sur les 1,9 ha, 6 000 m2 seraient dédiés à l’agriculture urbaine.

L’usine EIF

Le projet semble effectivement très séduisant mais les associations y voient toutefois un danger pour l’avenir des murs. En effet, la dépollution du sol de l’usine entraîne un coût non négligeable dans la réhabilitation du site qui ne pourrait, semble-t-il, qu’être contrebalancé par la bétonisation de quelques mètres carrés à travers la construction de logements, l’hôtel, etc. Néanmoins, on sait qu’à l’heure du réchauffement climatique, les oasis de verdure vont devenir de plus en plus essentielles et vitales. Il est primordial de les préserver et même d’en créer de nouvelles pour que les villes continuent d’être des lieux de rencontres et de joie et non des fournaises.

Pour finir

Le meilleur moyen de soutenir tous ceux et celles qui travaillent à préserver ces espaces, c’est encore d’aller les visiter. Si l’Histoire et la nature vous intéressent et que vous avez encore les stigmates du confinement récent, allez découvrir ce petit paradis qui ne demande qu’à vous parler et se laisser découvrir.

Il y en a pour tous les goûts et tous les âges.

Pour en savoir plus …

crédit photo : les yeux

1 commentaire

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1 commentaire

Melanie 22 juin 2020 - 9 h 05 min

Je ne connaissais pas du tout ! C’est vraiment fascinant. De même je ne savais pas qu’il était possible de marquer des fruits !

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